Le recours à l’analytique RH ne relève plus du gadget ou de l’innovation marginale. Il devient progressivement un levier de pilotage stratégique pour les fonctions de ressources humaines, dans un contexte où la complexité des enjeux humains exige des décisions fondées sur des données tangibles. Le dernier audit Top Employers, mené auprès de plus de 2 400 organisations certifiées dans le monde, permet de dresser un état des lieux de l’adoption de ces pratiques en France et de mieux comprendre où se situent les avancées… et les freins. 

Une maturité hétérogène selon les thématiques 

L’analytique RH ne progresse pas de façon homogène au sein des organisations françaises. La diversité des niveaux de maturité, selon les axes explorés, illustre à la fois l’avancement réel de certains chantiers et les résistances persistantes sur d’autres. Cette pluralité de trajectoires souligne le besoin d’une stratégie plus structurée, adaptée aux capacités internes et aux ambitions de chaque organisation. Elle met aussi en lumière un enjeu majeur : passer d’une logique d’expérimentation à une intégration pleine et entière de l’analytique dans les processus RH quotidiens. 

Premier enseignement de l’audit : les organisations n’avancent pas toutes à la même vitesse ni avec la même intensité selon les sujets. L’utilisation de données pour gérer la performance, par exemple, semble relativement bien ancrée. Les chiffres restent stables autour des 80 %, ce qui montre que cette approche est désormais largement intégrée dans les pratiques de pilotage des talents. Les directions RH utilisent les données pour ajuster les objectifs, évaluer l’atteinte des résultats et accompagner les collaborateurs de façon plus ciblée. 

En revanche, certains domaines émergents comme l’analyse des commentaires libres restent encore très peu explorés. Ces champs d’expression ouverts, issus notamment des enquêtes internes ou des réseaux sociaux d’entreprise, recèlent un fort potentiel. La récurrence de certains thèmes ou signaux peut y être identifiée comme un indicateur précieux, révélant des préoccupations, des tendances ou des points de tension que les indicateurs quantitatifs classiques ne permettent pas toujours de détecter. Alors même que les solutions technologiques, notamment basées sur l’intelligence artificielle, se développent rapidement, seules 12,96 % des organisations certifiées en France exploitent aujourd’hui ces sources d’information pourtant riches de sens. C’est un signal clair : l’analyse qualitative reste un point de tension pour de nombreuses équipes RH, faute de compétences, de temps ou de solutions accessibles. 

Entre ces deux extrêmes, d’autres usages progressent lentement mais sûrement. C’est le cas de l’analyse de l’équité salariale, qui atteint désormais 66,67 % d’adoption. Cette montée en puissance traduit une sensibilité accrue des organisations aux enjeux d’inclusion et de transparence. L’analyse régulière des écarts salariaux, en croisant des critères objectifs (ancienneté, responsabilités, résultats) et socio-démographiques, permet aux organisations d’identifier les déséquilibres et d’agir en conséquence. Cette pratique, qui relève à la fois de la conformité et de l’éthique, devient progressivement une norme dans les politiques de rémunération responsables. 

Leadership et décisions basées sur les données : une approche qui se stabilise 

Autre donnée intéressante issue de l’audit : la sélection et la promotion des leaders fondées sur des données analytiques restent à un niveau stable de 68,52 %. Cela traduit une certaine maturité, mais aussi une possible stagnation. De nombreuses organisations ont intégré des critères de performance, de potentiel et de comportement dans leurs modèles de sélection, mais peinent parfois à aller plus loin dans l’exploitation croisée des données. Le défi consiste désormais à utiliser l’analytique non seulement comme un outil de validation, mais aussi comme un levier prédictif pour anticiper les trajectoires et mieux accompagner les parcours de leadership. 

Il est également important de noter que cette stabilisation ne signifie pas que les pratiques sont figées. Au contraire, plusieurs organisations explorent aujourd’hui des outils plus sophistiqués, capables d’identifier des signaux faibles ou de cartographier les dynamiques de leadership en interne. L’enjeu est double : sécuriser les décisions critiques tout en favorisant la diversité des profils promus à des fonctions managériales. 

L’expérience collaborateur encore partiellement mesurée 

L’un des grands paradoxes relevés par l’audit réside dans le décalage entre les ambitions affichées en matière d’expérience collaborateur et la réalité de la mesure. Si les organisations investissent de plus en plus dans des parcours soignés et différenciés, notamment lors de l’intégration, cette logique de personnalisation se heurte à un manque d’outils d’analyse globale. Mesurer l’impact réel des dispositifs sur l’engagement, la satisfaction ou le sentiment d’appartenance reste complexe, surtout lorsqu’il s’agit de moments de transition comme la mobilité interne, la prise de poste managériale ou le départ. 

Les données disponibles montrent pourtant qu’un pilotage plus fin de l’expérience permettrait de mieux identifier les points de rupture, les signaux faibles d’un désengagement à venir ou les attentes spécifiques de certaines populations. Il ne s’agit pas seulement d’ajouter des enquêtes, mais de croiser des données quantitatives et qualitatives, de structurer leur exploitation, et surtout, de traduire les résultats en actions concrètes, visibles et évaluables dans le temps. 

Si l’analytique RH progresse dans les domaines de la performance ou de la rémunération, il reste moins abouti dans l’évaluation des moments clés de l’expérience collaborateur. La mesure de l’expérience d’intégration est aujourd’hui bien implantée dans les grandes organisations, tout comme les enquêtes de satisfaction menées en continu ou à des moments spécifiques de la vie professionnelle. Mais certaines étapes cruciales, comme l’expérience de départ d’un collaborateur, restent encore très peu analysées. 

À cet égard, selon les résultats de l’audit, seules 14,82 % des organisations certifiées mesurent aujourd’hui l’expérience vécue par le collaborateur lors de son départ. Ce chiffre reste particulièrement bas, alors même que cette étape constitue un moment clé dans le parcours du collaborateur. L’évaluation de l’expérience de départ ne vise pas uniquement à comprendre les raisons du turnover, mais surtout à améliorer concrètement les conditions dans lesquelles s’effectue la sortie de l’organisation. Si celle-ci est négligée ou mal vécue, elle risque de laisser une impression négative durable, susceptible d’altérer le regard porté sur l’ensemble du parcours au sein de l’organisation.  

À l’inverse, un départ respectueux, fluide et bien accompagné peut renforcer le sentiment de reconnaissance et laisser une empreinte positive. L’analytique RH a ici toute sa place pour structurer cette démarche, en recueillant des données à la fois qualitatives et quantitatives, afin d’optimiser les processus de gestion des départs et de renforcer la qualité de l’expérience collaborateur jusqu’à son terme. 

Un cap à franchir : tirer pleinement parti des technologies 

Au-delà des usages thématiques, les chiffres du dernier audit 2025 mené par Top Employers Institute révèlent une progression notable dans l’outillage des fonctions RH. Ces deux dernières années ont vu une véritable accélération dans l’adoption d’outils structurants, en particulier pour la production et le pilotage de métriques RH clés. Aujourd’hui, 56,48 % des organisations utilisent une scorecard RH, c’est-à-dire un tableau de bord réunissant les indicateurs principaux liés aux ressources humaines. Cette adoption, en hausse de près de 7 points par rapport à l’année d’audit précédente, et de 13,5 points sur deux ans, marque un tournant significatif vers une gestion plus pilotée, plus rigoureuse et mieux alignée sur les objectifs de l’organisation. 

Dans le même temps, la pratique consistant à orienter les décisions stratégiques sur la base des données RH se stabilise à un niveau élevé : 83 % des organisations interrogées déclarent désormais s’appuyer sur les données pour éclairer leurs choix. Cette stabilisation ne traduit pas une stagnation, mais plutôt une forme d’appropriation : les données ne sont plus perçues comme un outil annexe ou réservé aux experts, mais bien comme un élément naturel du processus décisionnel. Elles permettent de donner du sens aux transformations, d’en objectiver les effets, et surtout d’impliquer les managers et les parties prenantes dans une démarche fondée sur des faits. 

Le faible taux d’analyse des données non structurées illustre un décalage plus global : les technologies existent, mais ne sont pas encore pleinement intégrées dans les pratiques RH. Les outils d’intelligence artificielle, de traitement automatique du langage naturel ou de visualisation avancée permettent aujourd’hui d’aller bien au-delà des indicateurs classiques. Mais leur adoption suppose une évolution des compétences, un accompagnement managérial et souvent un changement de culture. 

Certaines organisations pionnières montrent la voie, en développant des tableaux de bord accessibles à tous, en formant les équipes RH à l’analyse de données, ou en intégrant des experts data dans les départements RH. Ces initiatives facilitent la transformation, mais restent encore minoritaires. La montée en puissance de l’analytique RH passe donc par une approche progressive, structurée et centrée sur la valeur ajoutée pour les décisions humaines. 

Entre avancées réelles et potentiel à concrétiser 

L’analytique RH en France se situe à un tournant. D’un côté, les chiffres montrent que certaines pratiques, autrefois émergentes, sont désormais bien ancrées dans les usages des organisations certifiées. De l’autre, des domaines entiers restent encore peu explorés, comme si les données n’avaient pas encore franchi le cap de la confiance ou de l’utilité démontrée. 

Pour franchir cette étape, les organisations doivent dépasser les barrières classiques liées à la technique ou à la confidentialité et adopter une approche culturelle. Cela passe par la formation, l’éducation, l’expérimentation, mais également faire preuve d’humilité dans l’analyse. Car la donnée RH n’est pas une vérité absolue : elle est une lecture, un outil de dialogue, un moyen de mieux comprendre pour mieux agir. 

À l’heure où la fonction RH est attendue sur des enjeux de plus en plus stratégiques — transformation des compétences, diversité, rétention, hybridation du travail —, l’analytique RH devient un atout différenciant. Les organisations qui sauront en tirer le meilleur parti prendront une longueur d’avance dans leur capacité à anticiper, à personnaliser et à renforcer la relation avec leurs collaborateurs. En ce sens, l’analytique RH n’est pas une fin en soi, mais un levier d’impact humain durable. 

En 2025, l’adoption de l’analytique RH en France suit une dynamique positive, mais encore inégale. Certaines pratiques sont désormais bien installées, comme l’analyse de la performance ou l’évaluation de l’équité salariale. D’autres, plus complexes ou plus récentes, peinent encore à se déployer à grande échelle. L’audit réalisé auprès de plus de 2400 organisations certifiées par Top Employers Institute permet de mieux comprendre ces tendances et d’identifier les leviers à activer pour accélérer la maturité analytique des RH françaises. 

Car au-delà des outils, l’essentiel reste l’usage : la donnée n’a de valeur que si elle éclaire la décision, alimente la réflexion stratégique et améliore concrètement l’expérience des collaborateurs. C’est dans cette optique que l’analytique RH peut devenir un allié puissant pour construire des environnements de travail plus justes, plus performants et plus humains. 

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